mardi 3 juillet 2012

Diesel: nuit gravement à la santé... et à l'économie


Le diesel vole votre (notre) argent : j'en remets une couche ! 


Cet article d'Yves Lenoir extrêment bien documenté donne à réfléchir, notamment sur une question : à quel point les méfaits sanitaires et économiques du diesel sont sous-estimés ?





Non seulement les moteurs diesel sont responsables de cancers du poumon, souligne le spécialiste des énergies Yves Lenoir, membre du groupe Energie Développement. Mais encore, ils coûtent au budget de l'Etat français près de 12 milliards d'euros par an: la plus grande niche fiscale. 


Qui dit pollution dit d'abord maladies, maladies graves et dénombrables. Le 12 juin dernier, le Centre international de recherches sur le cancer (IARC), agence spécialisée de l'Organisation modiale de la santé (OMS), a reconnu officiellement qu'il y avait un lien direct entre développement de l'usage des moteurs diesel et celui des cancers du poumon (télécharger le communiqué au format pdf).
On connaît la réactivité et la combativité de l'OMS dès lors qu'il s'agit d'affronter les grands lobbies industriels et politiques. Il suffit d'évoquer le scandale du tabac ou encore l'ignorance des séquelles de l'accident de Tchernobyl. Donc, si l'OMS fait savoir qu'il y a un lien, c'est d'un câble qu'il s'agit. L'industrie automobile française ne s'y est pas trompée, qui a immédiatemlent réagi en faisant valoir des arguments dignes de ceux du Comité Amiante à l'époque de sa splendeur.
En 2004, l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) a publié un rapport attribuant 31 700 décès par cancer du poumon, pour l'année 2000, aux particules fines, celles produites essentiellement par les chauffages au fuel et les moteurs diesel. A l'époque, les consommations de gazole et de fuel domestique se montaient respectivement à 27 et 18 millions de tonnes par an. En 2011, le tonnage consommé par les moteurs diesel a sensiblement augmenté, passant à 33 millions de tonnes, tandis que celui du fuel domestique régressait à 15 millions. Globalement, les consommations de gazole ont donc augmenté et, si on admet une relation linéaire entre consommation et nombre de cancers mortels du poumon, on peut conjecturer 38 000 décès prématurés pour 2011, dont 25 000 au moins (au prorata des consommations) sont dus au diesel. L'objection du délai entre exposition et survenue de la maladie ne tient pas : la tendance à l'accroissement de la consommation de gazole est lourde, voulue à la fois par les pouvoirs publics et l'industrie automobile de notre pays. Comme dans le cas de l'amiante, les décès actuels, relatifs à une exposition ancienne alors que les taux de particules fines dans l'air étaient moins élevés, annoncent une hécatombe.
Chiffrer les coûts des traitements de ces cas de cancer pour l'assurance maladie est un exercice hasardeux. Il s'agit de morts prématurées. Tôt ou tard, chacun d'entre nous sera atteint par une maladie qui l'emportera, plus ou moins rapidement, nécessitant des soins plus ou moins coûteux. Ce serait plutôt les coûts indirects qu'il faudrait établir. Car les populations exposées ont souvent des ressources limitées (chauffeurs routiers, de taxi, travailleurs du BTP, etc). Le décès prématuré d'un adulte apportant un revenu indispensable à sa famille plonge cette dernière dans le drame et la précarité, une précarité en partie compensée par des aides sociales à la charge de la collectivité. Néanmoins, il faut savoir que, selon un rapport de l'Inserm de 2010, le coût moyen d'un cancer du poumon s'élève à 12 518 € (sic).
On sait de plus que les moteurs diesel émettent aussi des oxydes d'azote (NOx), précurseurs d'une partie de l'ozone troposphérique. Cette pollution est responsable d'un accroissement alarmant des allergies, asthmes et maladies respiratoires et cardiovasculaires. Sans retenir le chiffre de 100 milliards d'euros comme prix des dommages pour la santé que, selon l'Agence européenne de l'environnement, la pollution de l'air par l'industrie et les transports provoque chaque année, qui conduirait mécaniquement à un coût de 16 milliards d'euros par an pour la collectivité nationale, on admettra en revanche que le nombre de journées de travail perdues pour cause d'allergie respiratoire, de 100 millions par an dans l'Europe des 27, est sans doute proche de 15 millions en France, à la charge de la Sécurité sociale. Une évaluation globale très partielle, qui ne retient que les traitements des cancers et la moitié des journées de travail perdues, fournit une charge de l'ordre de 600 millions d'euros pour l'assurance maladie. A considérer comme la partie émergée de l'iceberg.
Il s'agit bien d'un désastre sanitaire, conséquence directe d'une stratégie énergétique qui suppose la création d'une niche fiscale, celle qui creuse plus que toute autre les finances du pays. Son origine est lointaine, à une époque où la différence entre les rendements des moteurs à essence (alimentés par carburateur) et des moteurs diesel (alimentés par pompe d'injection) était importante. C'était l'époque d'avant les chocs pétroliers où les importations d'hydrocarbures chargeaient le plateau importation de la balance commerciale. C'était aussi l'époque où la décision de favoriser les transports routiers de marchandise appelait des mesures incitatives. A cette époque, les pollutions engendrées par les véhicules routiers battaient tous les records. A certains carrefours parisiens, les policiers chargés de régler la circulation changeaient plusieurs fois par heure ! Tous polluaient un maximum : deux roues à moteur deux temps, moteurs quatre temps à essence, moteurs diesel. Sans considération pour cette externalité bien partagée, l'administration instaura une politique durable de forte sous-taxation du gazole pour les véhicules routiers.
L'administration française s'était aussi fait un devoir de “protéger” l'industrie automobile nationale, au delà de son intérêt à long terme. C'est ainsi que l'obligation d'équiper les véhicules à essence de pots catalytiques a été retardée sous la pression d'industriels peu compétitifs préférant polluer plutôt que d'investir dans l'injection et l'adaptation de leur technologie aux normes internationales modernes. Tablant sur le maintien de cette sous-taxation, les constructeurs nationaux profitèrent de la liberté qu'ils avaient de ne pas améliorer la technologie de leurs moteurs à essence pour investir massivement dans le développement de la motorisation diesel. Après plus d'un quart de siècle, malgré son coût à l'achat, des frais d'entretien bien plus considérables, mais grâce à une publicité accordée à l'objectif d'élimination du moteur à essence, la motorisation diesel a conquis plus de 70% de la part du marché en France, une situation singulière dont on va maintenant analyser les coûts fiscaux et économiques.
Petite digression, les pays où une législation unifiée est imposée aux émissions polluantes des véhicules routiers légers, le parc diesel est inexistant. Par ailleurs, les constructeurs soumis à ce genre de contrainte ont porté le rendement des moteurs à essence au niveau des diesels les plus performants, sinon au delà. Ainsi, à 100 km/h sur portion plate, le système hybride étant non sollicité, le rendement du moteur à essence de la Prius frôle 50% grâce à sa commande de soupapes optimisée ! Aucun véhicule produit en France par l'industrie nationale ne propose ce type de moteur thermique.
Quelques données pour cadrer le raisonnement.
Les carburants sont vendus au litre et non au kilo. Or leurs densités sont différentes : un litre d'essence pèse 750 g en moyenne alors que le poids moyen d'un litre de gazole est de 845 g, soit 12,5% de plus. Or l'énergie (et le CO2) que produisent les combustions de ces deux carburants sont quasi identiques à poids égal. Si l'on revient aux évaluations en volume, base pour les calculs des coûts et taxes, on retient que les quantités d'énergie chimique fournies par un litre, respectivement d'essence et de gazole, sont de 32 et 36 MJ (8,89 et 10 kWh).
Les consommations de gazole et d'essence en 2011 ont été de 33,6 millions de tonnes et 8,2 millions de tonnes, soit pour le gazole 39,52 milliards de litres et 10,93 milliards de litres pour l'essence.
Toujours en 2011, la TIPP moyenne (chargée de sa TVA propre) était de 0,732 € pour l'essence et de 0,532 € pour le gazole. Les TIPP du gazole et de l'essence, rapportées au contenu énergétique du litre de carburant, valent donc respectivement 0,01452 et 0,022875 €/MJ, soit un privilège de 0,008355 €/MJ accordé au gazole, 36,5% de moins pour les caisses de l'Etat. Il s'agit bien d'une formidable niche fiscale dont la croissance ne connaît aucun frein dans notre pays. Au contraire, toutes les ressources de recherche et développement (Institut français du pétrole, grandes écoles, etc.) impliquées dans le perfectionnement des moteurs et de leurs équipements travaillent la main dans la main pour perfectionner les moteurs diesel des constructeurs automobiles français.
Aujourd'hui, calcul pour 2011, cette niche fiscale énergétique répartie au profit de millions de consommateurs possesseurs de véhicules à moteur diesel représente un manque à gagner pour les caisses publiques de 11,88 milliards d'euros. Il s'agit bien de la plus grande niche dont le “rabottage” progressif, par exemple sur cinq ans, pourrait faciliter le retour à l'équilibre budgétaire auquel s'est engagée l'administration Hollande. Elle représente, par voie de conséquence, la plus grande subvention à la pollution, celle qui tue les gens, que l'administration fiscale dispense à l'industrie automobile, au transport routier de marchandises et aux automobilistes roulant au diesel. Le scandale le mieux toléré sans doute.
Le pouvoir politique fera-t-il preuve du courage politique nécessaire pour faire cesser ce scandale ?...
Le coût de cette politique de gribouille à grande échelle ne se limite pas à nuire à la santé et aux finances du pays : il touche aussi la balance du commerce extérieur, bien mal en point comme chacun sait. Car à force de favoriser les “champions nationaux”, dont le marché est essentiellement hexagonal, on affaiblit la compétitivité de l'ensemble d'une économie par ailleurs ouverte au monde.
La capacité de raffinage de l'essence est en France exédentaire pour 4 millions de tonnes. Celle du gazole est déficitaire pour 11 millions de tonnes. Des données de l'Union française des industries pétrolières (Ufip) pour 2011, on tire que le raffinage d'une tonne (1 183,4 litres) de gazole coûte 95,85 € HTVA ; celui d'une tonne (1 333,3 litres) d'essence coûte 45,33 € HTVA. L'importation des 11 millions de tonnes de gazole que l'industrie française du raffinage ne peut produire a donc ajouté 1,054 milliard d'euros sur le plateau importations de la balance commerciale. Si toute la surcapacité de raffinage de l'essence avait trouvé client, le plateau exportations aurait reçu 0,181 milliard d'euros. Donc, l'inadaptation structurelle de l'outil de raffinage qu'alimente l'accroissement indéfini de la consommation du gazole en France contribue grosso modo pour 1 milliard d'euros au déficit de la balance commerciale du pays. Ne pas omettre de signaler ici que la stratégie des constructeurs automobiles hexagonaux est largement discréditée par une balance commerciale du secteur des ventes de véhicules routiers de l'ordre de 7 millairds d'euros par an, sans perspective d'amélioration, bien au contraire.
L'actualité amène sur le devant de la scène la question lancinante du retour à l'équilibre budgétaire, l'inquiétude suscitée par la dégradation vertigineuse de la balance commerciale et, plus récemment, le scandale encore mal perçu des multiples subventions à la pollution. Et c'est ce moment singulier que choisit l'OMS pour annoncer ce que tous les épidémiologistes avaient noté depuis plus d'un quart de siècle, à savoir que les particules fines des combustions de gazole sont responsables d'un nombre élevé de décès prématurés par cancers du poumon. La “patrie” du diesel, la France se révèle payer au prix fort une stratégie conjointe de l'Etat et des constructeurs automobiles nationaux :
– plusieurs dizaines de milliers de décès prématurés par an, chiffre appelé à croître ;
– des dépenses afférentes à la charge de l'assurance maladie de l'ordre de 600 millions d'euros par an ;
– une niche fiscale privant de près de 12 milliards d'euros par an les recettes de l'Etat, chiffre appelé à croître ;
– une subvention d'un montant au moins égal à la pollution atmosphérique (sans prise en compte de l'effort caché de R&D parapublic pour le diesel) ;
– une contribution d'un milliard par an au déficit extérieur par inadaptation tendancielle de l'outil de raffinage ;
– une grande partie de la perte de compétitivité de l'industrie automobile nationale sur le marché mondial.
Ce bilan d'un demi-siècle d'une politique industrielle sans contrôle appelle une révision déchirante. La nouvelle administration et les forces vives du pays sont-elles à la hauteur du défi ?

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