«Ma voisine est une femme très active. Chaque jour, cette mère de famille élue municipale va et vient entre son domicile et la mairie, entre l'école et le stade, entre le supermarché et le cabinet médical où ses trois fils — aussi turbulents qu'allergiques aux écharpes — ont malheureusement leurs habitudes. Madame ma voisine est comme des centaines d'autres parents près de chez moi et comme des centaines de milliers d'automobilistes en France : sans le savoir, elle tue sa voiture à petit feu, elle éreinte son turbocompresseur, elle étouffe son filtre à particules à force de petits trajets en ville. Les assassins sont parmi nous.
Madame ma voisine n'en est pas moins attachée à son grand monospace, un engin pratique et docile qui fonctionne au gazole. Forcément, puisque "c'est moins cher". Sauf qu'en multipliant les déplacements courts, cette dame fait endurer le pire à son moteur. De la mairie à l'école, de la maison jusqu'au judo, la mécanique n'a jamais le temps de monter en température : sa lubrification comme la dépollution restent imparfaites, de sorte que l'usure s'accélère et la consommation comme les émissions augmentent. Pas propre. Ni très malin.
Forcément ma voisine entretient de bonnes relations avec son garagiste. C'est bien la moindre des choses au regard de ce qu'elle "lui laisse chaque mois". Ma voisine paie, paie et paie encore sans sourciller. Cent cinquante euros par ci pour une régénération forcée du filtre à particules (encrassé au bout de quelques mois), trois cent euros par là pour un décrassage de la vanne EGR et une vidange précoce réclamée par un ordinateur de bord qu'alarment tant de petits trajets. Ma voisine débourse sans compter car, paradoxalement, elle reste persuadée de faire des économies. La différence de prix à la pompe entre un plein de gazole et de super exerce sur elle comme sur nombre de nos concitoyens une fascination qui tient de l'hypnose.
"C'est le calendrier des échéances électorales plus que toute autre considération qui déterminera le moment et la vitesse avec laquelle tombera le couperet."
Ce matin, ma voisine s'est attardée devant les grilles de l'école pour m'entretenir d'un sujet qui la préoccupe : il se murmure que le gouvernement songerait à gommer l'avantage fiscal du gazole afin d'inciter les Français à se rallier en masse au moteur essence jugé plus propre. Rapport aux particules fines émises par la combustion du gazole que l'Organisation mondiale pour la Santé a classé au mois de juin 2012 parmi les agents cancérogènes chez l'Homme. "Malin. Pouvaient pas y songer avant, non ?" Certes.
Ma voisine a tout à fait raison de vouloir dénoncer cet aveuglement volontaire de nos édiles. La nocivité des particules est en effet connue depuis 1983, date de parution des conclusions du rapport d'experts médicaux de l'Hôpital Bichat (lire notre billet : "Sortir ou pas du Diesel"). Seulement les transporteurs routiers et les constructeurs automobiles français ont orchestré un coup de force constant depuis lors. Entre menace d'un blocus routier, chantage à l'emploi et promesse de soutenir la compétitivité de l'industrie nationale, les gouvernements successifs se sont laissé convaincre d'étendre aux particuliers un avantage fiscal imaginé pour l'industrie à une époque où Monsieur Tout-le-Monde roulait encore à l'essence.
Madame ma voisine s'inquiète pour son budget carburant et elle a bien raison. Le Ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg eut beau assurer au mois de mars dernier qu'"aucune mesure ne sera prise en 2013", la menace est bien réelle. A quoi sert la décision rendue hier, 18 avril, par les sages du Comité sur la fiscalité écologique sinon à instiller dans l'esprit du public cette vérité aussi effrayante qu'incontestable : l'avantage fiscal accordé au gazole ne se justifie plus au regard de son impact avéré sur la santé (lire notre article : "Un pas timide vers la fin de l'avantage fiscal du gazole"). C'est le calendrier des échéances électorales plus que toute autre considération qui déterminera le moment et la vitesse avec laquelle tombera le couperet.
Bien évidemment, les professionnels de la route s'insurgent, suivis de nos concitoyens isolés dans les campagnes. Eux roulent beaucoup et sur de longues distances, eux peuvent justifier le recours à une motorisation Diesel. Pas ma voisine dont le kilométrage annuel ne suffit pas à amortir le surcoût à l'achat comme à l'entretien du Diesel. Plus de la moitié des automobilistes ayant fait le choix du Diesel serait dans le même cas de figure. C'est ballot.
Fatalement Madame ma voisine songe déjà, comme tant d'autres automobilistes, à se séparer de sa voiture Diesel.Celle-là même qu'elle n'aurait jamais dû s'offrir. "Le phénomène est déjà visible sur le marché de l'occasion", témoigne Khalid Zarrougui, Chef de rubrique du Guide d'Achat de L'Automobile Magazine. "La demande chute fortement pour les modèles Diesel parmi les moins courus alors que, à l'inverse, on constate une hausse de la demande pour des familiales essence dont personne ne voulait jusqu'à maintenant." Au rythme où vont les choses, la cote des véhicules Diesel d'occasion croisera bientôt celle, en hausse, de leurs équivalents à moteur essence. On peut même prédire une inversion du rapport de force lorsque la demande dépassera l'offre et conduira à une survalorisation des rares familiales essence disponibles sur le marché. Madame ma voisine n'a qu'à bien se tenir, le cataclysme annoncé aura bien lieu.»
Le journaliste termine en mettant l'accent sur le bazar que pourrait causer cette mesure. Mais le changement n'a t-il pas déjà commencé ?